5.1. Les mauvaises stratégies de NOKIA
Elles ont peur de se perdre et se perdent pourtant !
Chambourcy oh NON ! Qui ne se souvient pas du slogan « Chambourcy Oh Oui » de cette entreprise qui commercialisait des yaourts et autres produits laitiers. Cette entreprise n’existe plus aujourd’hui. Disparus les Kodak, les Polaroid, les Compaq, les Moulinex. Disparus aussi les Altavista, les Netscape, les Minolta, les Prisunic, les Mammouth, les Panam, les Concorde, pour ne citer que celles-là.
Toutes ont disparues du fait de leur absence de stratégie, de l’adoption d’une stratégie inadaptée ou de l’ignorance de l’environnement comme cela a été le cas de Nokia que nous allons développer ci-dessous et qui a longtemps joué à l’autruche. Même si cette entreprise n’a pas complètement disparue, elle n’a rien du mastodonte qu’on a connu.
Penser fait partie de la vie de tous les jours. Après tout, nous devons prendre des décisions chaque jour et nous faire une opinion sur les choses qui nous entourent. La réflexion stratégique va encore plus loin.
Il ne s’agit pas seulement de penser à quelque chose qui se passe, il s’agit de penser à aborder stratégiquement l’avenir (comment apprendre une langue étrangère ou à jouer du piano, comment travailler de manière productive, ou éviter de se laisser distraire, comment préparer son mémoire etc.). Quiconque se débat avec cela peut entraîner sa réflexion stratégique et attiser ses cellules grises.
Pour ce qui est des entreprises, c’est généralement en tant de crise, lorsque la pression augmente qu’elles se rendent compte de l’importance d’avoir une stratégie. Elles essayent une chose puis l’abandonnent pour en adopter une autre. Ce qui leur semble être une issue est en réalité fatal, elles s’enlisent progressivement.
Steeve Jobs disait : « Chez Apple, nous sommes tout aussi fiers de ce que nous faisons que de ce que nous ne faisons pas » La stratégie est comme une boussole qui vous aide à faire les bonnes choses au bon moment. Sans stratégie claire, les entreprises s’égarent en utilisant de l’énergie inutilement et en gaspillant leurs ressources, elles s’éparpillent chaque jour davantage. Et, Comme aurait dit Brel, elles ont peur de se perdre et se perdent pourtant
5.1.1. « Les personnes désirant utiliser un mauvais téléphone n'existent pas »
Le 18 août 2008, Lauri Malkavaara, journaliste à Helsingin Sanomat , le plus gros quotidien finlandais a écrit à la société NOKIA en faisant part de sa déception après avoir utilisé l’un de leurs téléphones.
En voici des extraits :
» Cher Nokia :
Cher Nokia, Il s’agit d’une lettre destinée à une personne responsable de la conception des téléphones Nokia. Je n’ai trouvé aucun endroit sur le site Web de Nokia pour donner mon avis sur les produits Nokia. Il y avait effectivement une possibilité de poser des questions, mais c’est plus une réponse qu’une question…
Bien que je sois journaliste de profession, j’écris ceci en tant que particulier. J’espère que vous transmettrez ma lettre à qui vous pensez être le meilleur destinataire. Cependant, il serait préférable de l’encadrer et de l’accrocher au mur de votre hall afin que chaque employé de Nokia puisse le voir chaque matin lorsqu’il vient au travail.
Le succès de Nokia a commencé il y a environ 20 ans lorsque les téléphones portables sont devenus monnaie courante… Tout le monde a appris tout de suite à utiliser les téléphone Nokia, et aucun manuel n’était nécessaire.
Pour appeler, appuyez sur le symbole vert du combiné, et pour raccrocher, appuyez sur le rouge. Les téléphones Nokia en particulier étaient connus pour leur facilité d’utilisation. Nokia est devenu le leader écrasant du marché.
La semaine dernière mon employeur m’a acheté le troisième téléphone portable de ma vie, le Nokia E51. Cela fait maintenant une semaine qu’il me rend perplexe. Au début, je ne savais même pas comment passer des appels sans consulter le manuel, et j’y comprends encore très peu.
Le problème est qu’il y a environ six mois, un de mes amis au travail m’a montré un appareil fabriqué par Apple appelé iPod Touch. C’était un coup de foudre. Je voulais un iPod, et cet appareil me donnerait également un accès pratique à Internet et bien plus encore.
J’ai commandé mon propre iPod Touch, je l’ai allumé et j’ai tout de suite su comment l’utiliser. J’utilise l’appareil quotidiennement depuis plus de six mois maintenant, sans me soucier des manuels. La logique de l’appareil s’ouvre à vous tout de suite. Il n’est pas étonnant que l’appareil soit un énorme succès mondial.
Pour revenir à votre Nokia E51, malheureusement, ce téléphone n’a pas été conçu pour permettre à n’importe qui d’apprendre à l’utiliser facilement.
… EN FAIT, JE RESSENS le sentiment qu’il a été conçu comme si son objectif principal était de se faire connaître auprès des passionnés de technologie téléphonique. Toutes sortes de fonctions étonnantes sont présentées à l’écran, mais comme je ne comprends pas la signification des noms, je suppose que je ne les utiliserai jamais.
Voici un exemple : la première chose que presque tout utilisateur d’un téléphone souhaite faire est de changer la sonnerie ; moi aussi, mais comment faire ?
En jouant avec le nouveau téléphone, j’ai remarqué qu’il avait une clé avec l’image d’une maison dessus. En appuyant dessus, le menu principal s’ouvre. À ce stade, j’étais censé comprendre laquelle des touches correspondait aux sonneries. Les options sont la messagerie, le bureau, le journal, les médias, les outils, les installations, la connectivité, le téléchargement, le carnet d’adresses, le Web, le calendrier et les instructions.
Les noms n’étaient pas d’une grande aide, alors j’ai essayé chacun d’eux, un à la fois. Avec chacun d’eux, de nouveaux choix se sont ouverts, mais aucun d’entre eux ne semblait offrir un moyen de changer une sonnerie. Par conséquent, j’ai essayé de me référer aux instructions, mais elles ne donnaient que des instructions sur l’installation de sonneries 3D. Je n’en voulais pas, parce que je ne sais même pas ce qu’elles signifient.
ENFIN J’AI DEMANDÉ l’aide d’un ami qui est dans la technologie. Il s’est avéré que j’aurais dû savoir au départ que je devais sélectionner des « outils », et de là aller aux « paramètres » et de là au « général », et de là à la « personnalisation », et là, enfin, je trouverais enfin ce que je cherchais : « sonneries ». Je devais donc faire cinq choix judicieux dans une hiérarchie descendante avant de changer ma sonnerie, ce qui est la première chose que tout utilisateur d’un nouveau téléphone veut faire.
… Et puis il y a un autre exemple différent : j’envoie un SMS, ce que je fais des dizaines de fois par jour. Tout d’abord, j’appuie sur messages, puis je sélectionne « créer un message », puis je dois choisir parmi quatre options : message texte, message multimédia, message audio ou e-mail. Alors à chaque fois, des dizaines de fois par jour dans les années qui suivent, je suis gêné par ce message supplémentaire, et à chaque fois je donne la même réponse.
JE SUPPOSE QUE c’est le cas pour d’autres. Je suppose que sur 1.000 messages envoyés, 999 sont des messages texte ordinaires. C’est comme si mon téléphone n’avait pas été conçu de manière à ce qu’il soit aussi facile que possible de faire ce que je fais avec tout le temps, et qu’au lieu de cela, le téléphone fait constamment la promotion de toutes les choses étonnantes qui Je pourrais faire avec.
Un téléphone est principalement utilisé pour passer des appels et envoyer des messages texte. Il serait d’une importance vitale que ces fonctionnalités soient conçues de manière à ce que l’utilisateur puisse effectuer les tâches en appuyant sur le moins de boutons possibles, c’est-à-dire rapidement.
En résumé : En mettant sur le marché un téléphone comme le E51, Nokia a dilapidé son héritage le plus important : celui de fabriquer des téléphones faciles à utiliser. Cela causera du chagrin à Nokia.
Cordialement, Lauri Malkavaara «
Source : Le quotidien finlandais Helsingin Sanomat
Site : https://www.hs.fi/kuukausiliite/art-2000002679888.html
Fichtre. Ça a dû secouer les responsables de Nokia.
Faisant suite à ce courrier, les responsables de Nokia n’ont pas cessé d’appeler le journaliste qui rapporte que son courrier avait fait le tour du siège de l’entreprise et qu’un responsable voulait s’entretenir avec lui en privé. Ce qui fut fait.
Le responsable a question a commencé à défendre sa boîte en arguant que les utilisateurs pouvaient être différents, donc avec des besoins différents et à qui il fallait nécessairement proposer des téléphones différents. Ce à quoi le journaliste répondit que : « les personnes désirant utiliser un mauvais téléphone n’existent pas ».
Un peu mis en confiance, le dirigeant a ensuite cédé et a expliqué que la société était pleinement consciente du problème, s’excusant que Nokia ait produit une mauvaise expérience téléphonique : « Je suis entièrement d’accord avec vous et je tiens à m’excuser au nom de Nokia d’avoir produit un mauvais téléphone qui est loin de vous satisfaire ».
Il ajouta que l’entreprise travaillait actuellement sur un nouveau système d’exploitation destiné à prendre en charge de nouveaux types de téléphones faciles à utiliser.
Une des réactions de Nokia a été de suivre de près le lancement et l’évolution de l’iPhone par Apple lancé en 2007 et avait expédié un grand nombre d’iPhones au siège social de Nokia à Espoo. Le responsable cité plus haut décrit en avoir ramené un chez lui et l’avoir présenté à sa fille de quatre ans, qui a selon lui « appris à l’utiliser immédiatement ».
Il déclara prendre conscience que Nokia avait des ennuis lorsque sa petite fille lui a demandé ce soir-là « puis-je prendre ce téléphone magique et le mettre sous mon oreiller ce soir ? »
Tout est dit
5.1.2. Des erreurs stratégiques impardonnables
Qui ne se souvient pas de ce bulldozer qu’était le Nokia 3310, qui n’avait pas besoin d’être branché tout le temps puisque doté d’une autonomie en communication de près de 3 jours voire plus (cela fait rêver aujourd’hui) et avec lequel on jouait à « Snake » pendant des heures (C’était le passe-temps favori des passagers du métro).
Si vous êtes né dans les années 90 ou alors au début des années 2000, vous devez connaitre l’ère de Nokia. Ce qui peut nous faire rêver aussi c’est le nombre d’exemplaires vendus : 136 Millions.
Rappelons au passage que c’est un Nokia (le 1110) qui connait les plus grandes ventes de tous les temps et toutes marques confondues avec 250 Millions d’unités vendues.
C’était l’époque où pratiquement le téléphone mobile et Nokia étaient presque synonymes. Nokia était comme un symbole d’excellence pour les téléphones mobiles.
On se souvient aussi que lorsqu’une connaissance faisait malencontreusement tomber son téléphone on s’empressé de lui rappeler : « Ne t’inquiète pas c’est du Nokia, un matériel solide ».
À cette époque, personne ne produisait des téléphones portables aussi pratiques, innovants et en même temps abordables. Pour des millions de personnes, un Nokia était leur tout premier téléphone mobile. Ces téléphones faisaient partie de très nombreuses familles à travers le monde.
Aujourd’hui, en dehors de professionnels, personne ne parle ou ne s’intéresse à Nokia. Comme si cette firme n’avait jamais existé.
Mais la question qui nous interpelle est de comprendre comment un géant qui détenait près de 80% du marché de la planète, a soudainement disparu ?
5.1.2.1. Brève histoire de NOKIA
Bien que de nombreux utilisateurs de téléphones mobiles connaissent la société Nokia comme une jeune entreprise et également comme l’un des plus grands leaders du marché produisant des téléphones mobiles et des équipements de haute qualité, ses racines remontent réellement au 19ème siècle.
L’entreprise a subi de nombreux changements au cours de sa vie. D’abord sur le marché finlandais mais plus tard même sur le marché mondial. Elle est passée d’une petite entreprise de l’industrie forestière par la production de caoutchouc et de câbles, à la fabrication d’ordinateurs, en particulier de moniteurs, et plus tard de téléphones portables
L’aventure de Nokia remonte à 1865 lorsque Fredrik Idestam a créé une usine à papier mécanique en Finlande, près de la ville de Tampere. Cette société a été acquise par Finnish Rubber Works Ltd. et a au cours de la période 1918-1922, fusionné avec Finnish Cable Works Ltd.
À la fin des années 1950 et 1960, Nokia est devenu actif dans l’industrie informatique, ayant déjà une expérience considérable dans l’ingénierie électronique et les télécommunications depuis les années 1900. Nokia a acquis de nombreuses sociétés comme Salora (un fabricant de téléviseurs) et est devenu le troisième fabricant de téléviseurs en 1979-1985.
Les sociétés ont officiellement fusionné en 1967, posant les bases de la Nokia Corporation.
En 1979, Nokia a conclu une joint-venture avec Salora, le principal fabricant scandinave de téléviseurs couleur, pour créer Mobira Oy, une société de radiotéléphonie. Quelques années plus tard, Nokia a lancé le premier système cellulaire international au monde, baptisé Nordic Mobile Telephone Network, qui reliait la Suède, le Danemark, la Norvège et la Finlande.
Cela a été suivi par le lancement du premier téléphone de voiture de la société ainsi que du monde, baptisé Mobira Senator, qui pesait environ 10 kg.
En 1984, Nokia a acquis Salora et a changé le nom de son unité de télécommunications en Nokia-Mobira Oy. L’année a également marqué le lancement de Mobira Talkman, présenté comme l’un des premiers téléphones portables. Cela signifiait qu’il pouvait être utilisé à la fois dans et hors de la voiture, même s’il pesait encore environ 5 kg.
Quelques temps plus tard, la société a présenté son premier téléphone compact appelé Mobira Cityman 900, qui était également le premier téléphone portable portatif au monde. Malgré un poids d’environ 800 g et un prix d’environ 5 456 $, il s’est vendu comme des petits pains.
Ce téléphone est devenu emblématique et a été surnommé « Le Gorba » après que le président de l’Union soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, l’ait utilisé pour passer un appel d’Helsinki à Moscou lors d’une conférence de presse en octobre 1987.
En 1988, la part de marché de Nokia-Mobira sur le marché mondial des téléphones à technologie analogique avoisinait les 14% tandis que Motorola Inc, deuxième plus important opérateur, détenait une part de marché de quelques 13,5%.
Il est peut être intéressant de rappeler qu’au début, Nokia n’était pas intéressé par la production de téléphones mobiles. Mais l’arrivée en 1990, du nouveau PDG Jorma Ollila a entrainé Nokia dans le secteur des télécommunications ».
Cette décision s’est avérée être un véritable tournant pour Nokia. Dans ces années 1990, la haute direction de Nokia a décidé de se concentrer uniquement sur le marché des télécommunications et, par conséquent, les unités de données, d’alimentation, de télévision, de pneus et de câble de la société ont été vendues au cours des premières années de la décennie.
Pour l’anecdote, le 1er juin 1991, le Premier ministre finlandais de l’époque, Harry Holkeri est ainsi devenu la première personne au monde à passer un appel GSM, en utilisant l’équipement Nokia sur le réseau à bande 900 MHz construit par la firme. En novembre 1992, l’entreprise lance le Nokia 1011, premier téléphone mobile GSM disponible dans le commerce. L’appareil avait un temps de conversation de 90 minutes et pouvait stocker 99 numéros de contact.
En octobre 1998, Nokia devance Motorola pour devenir la marque de téléphones mobiles la plus vendue au monde. Entre 1996 et 2001, le chiffre d’affaires de Nokia s’est en envolé, passant de 6,5 milliards d’euros à 31 milliards d’euros. (Il a donc quintuplé). Nokia intervenait alors dans quelques 140 pays avec plus de 55.000 employés.
Plus tard, l’entreprise a lancé des téléphones dotés d’un appareil photo qui sont devenus très populaires parmi la clientèle. Notons au passage le téléphone Nokia 1100, vendu 250 millions d’exemplaires. C’est toujours le téléphone mobile le plus vendu de tous les temps.
C’était l’âge d’or de Nokia.
Aujourd’hui, le fabricant finlandais de téléphones portables Nokia est en soins intensifs et sa santé se détériore davantage chaque jour. L’ascension et la chute de Nokia font maintenant partie des célèbres études de cas des écoles de commerces pour illustrer les entreprises qui ont atteint les sommets puis ont chuté jusqu’aux plus profond des océans.
Pendant ce temps, la transition des consommateurs des téléphones mobiles traditionnels (fonctionnalités) vers les smartphones a été spectaculaire et a pris Nokia au dépourvu. L’incapacité de Nokia à agir rapidement lorsque la tendance vers les smartphones commençait à émerger est un point de départ important dans la discussion sur le déclin ultérieur de l’entreprise.
5.1.2.2. Le Mantra : Innover ou mourir
Mais alors, qu’est-il arrivé à cette entreprise à succès ? Comment Nokia s’est-elle éclipsée ?
La réponse n’est pas évidente. Ce n’était pas un évènement soudain. Une entreprise de l’envergure de Nokia ne peut pas disparaître du jour au lendemain. C’est une série de mauvaises stratégies, d’incidents et de décisions malheureuses qui ont conduit à la chute de Nokia.
Nokia a été de toute évidence l’entreprise la plus influente de l’industrie de la téléphonie mobile de tous les temps, avec Apple qui a inventé le concept de smartphone tel que nous le connaissons aujourd’hui. En c’est justement ce concept de smartphone qui a fait perdre à Nokia sa pertinence et sa puissance sur le marché car refusant son adaptation aux nouvelles règles du marché.
En Septembre 2013, lors de la conférence de presse qui a suivi la vente de Nokia à Microsoft, le PDG de Nokia, en larmes avait déclaré « Nous n’avons rien fait de mal, mais d’une manière ou d’une autre nous avons perdu ». En réalité ils ont fait beaucoup de choses de travers.
Depuis le premier lancement en 1987 avec la version Mobile Cityman 900, jusqu’au lancement de la série N de Nokia au milieu des années 2000, il s’est imposé comme le leader du marché. Mais, en 2007, Apple a élaboré puis présenté le nouvel iPhone 4. Le monde de la téléphonie mobile venait de basculer.
Pour faire simple, on citera comme première raison le fait que Nokia a fait la sourde oreille à l’évènement de l’IPhone. C’est un lieu commun de dire que la technologie d’hier sera remplacée par les tendances de demain.
Les performances passées et la notoriété dont peut bénéficier une entreprise ne garantissent pas le succès futur. Nokia n’a pas reconnu les besoins de l’heure au cours de la période 2007-2010. Alors que d’autres sociétés de téléphonie se concentraient sur les logiciels, Nokia n’en faisait rien.
Elle n’a pas perçu les attentes des consommateurs. L’entreprise a investi dans de nouvelles technologies comme les écrans tactiles et les téléphones compatibles Internet, mais pas ceux dont les clients avaient besoin.
Les conditions du marché changent et continueront à changer et ne pas y répondre est une erreur. La direction de Nokia était trop confiante pensant réussir avec ses équipements robustes et son système d’exploitation Symbian désuet. L’orgueil ne mène nulle part.
Lorsque Steve Jobs a lancé le premier iPhone en 2007, cela a été considéré comme une véritable révolution. Le génie d’Apple n’était pas tant dans l’iPhone ou l’iPad que dans l’écosystème commercial qu’il a construit puis mis en place, plein de logiciels et d’applications. Par ailleurs, les personnes qui utilisaient les services gratuits de Google ou achetaient des produits Apple pouvaient utiliser leur contenu et leurs produits sur le Cloud.
De la même manière lorsque Google a acquis Android en 2005, il été bien inspiré de le synchronisé avec les produits de Google, les développeurs pouvaient créer des applications pour la plateforme Android et laisser les personnes payer ou l’utiliser gratuitement. Les propriétaires, les fabricants et les développeurs sont devenus interdépendants d’Android, créant ainsi un écosystème qui semblait faire défaut sur la planète Nokia.
Toute l’équation des téléphones mobiles a changé. Les gens se sont davantage intéressés à ce nouveau produit qui offrait une meilleure interface utilisateur et permettait l’utilisation de différentes applications sur les téléphones mobiles.
C’était le nouvel ordre mondial où le contenu est roi. Les téléphones avaient besoin de plus de stockage, d’un écran plus grand et plus convivial et d’autres fonctionnalités qui facilitaient la vie au client. Cela, les dirigeants de Nokia n’arrivaient pas à l’intégrer.
PAROLES D’EXPERT
Avant le lancement de l’iPhone, en 2007, la clef était de faire de bons téléphones mobiles permettant de téléphoner. Désormais, la voix n’est plus un critère pertinent dans le choix d’un téléphone. Seul compte le prix pour les appareils d’entrée de gamme et les fonctionnalités multimédias pour les téléphones haut de gamme. Nokia s’est du coup retrouvé pris en sandwich entre des fabricants asiatiques low cost capables de produire des terminaux basiques très bon marché et Apple ou Samsung livrant des smartphones à la fois performants et branchés sur des écosystèmes dynamiques comme l’App Store iTunes ou l’Android Market.
Source : L’effrayant destin de Nokia
Certains diront donc que c’est la faute à l’IPhone comme aurait dit Yves Montand dans sa fameuse chanson « c’est la faute à l’accordéon »
Google, pour sa part, et sentant le vent tourner, percevant cette mutation lance Android. Malheureusement, Nokia avait tourné le dos à cette situation faisant trop confiance en son matériel.
De toute évidence, le matériel de Nokia était le meilleur au monde, mais le matériel seul ne suffit pas, ne suffit plus. Les aspirations de la clientèle ne peuvent pas être ignorées. Le système d’exploitation Symbian de Nokia ne répondait plus à leurs attentes et n’était pas assez performant pour faire face à iOS d’Apple ou à Android de Google.
Au moment où les gens de Nokia s’en sont aperçus, il était déjà trop tard. Nokia allait progressivement perdre sa place de numéro un mondial, qu’il détenait depuis 14 ans
Ce n’est pas uniquement le cas de Nokia d’avoir réagi de la sorte. C’est la même histoire pour de nombreuses organisations comme Motorola, Kodak, etc. Toutes étaient d’abord les meilleures du marché mais disparaissaient progressivement au fil du temps et de leur entêtement, de leur arrogance et de leur ignorance.
La part de marché de Nokia est passée de 45% en 2007 avec un demi-million de téléphones vendus à environ 2% en 2011.
Stephen Elop, devenu PDG de Nokia en Septembre 2010 est Elop est devenu célèbre pour un discours qu’il a prononcé devant les employés de Nokia au début de 2011, au cours duquel il a comparé la position de l’entreprise sur le marché à un homme debout sur une « plate-forme en feu ».
De toute évidence, la situation de l’entreprise allait de mal en pis.
5.1.3. Des erreurs stratégiques en cascade
Une autre raison principale du déclin de Nokia est sa stratégie de système d’exploitation pour smartphone, qui est plus généralement liée à des problèmes logiciels.
L’entreprise ne semblait pas comprendre les logiciels, elle ne comprenait donc pas l’importance critique des applications et la construction d’un écosystème autour des applications. Plusieurs analystes reconnaissent que Nokia a généralement produit du matériel de haute qualité, mais a été confronté à des problèmes liés à ses logiciels. La société a sous-estimé l’importance des applications tierces pour la proposition de smartphone.
Nokia a essayé timidement de rivaliser avec ses adversaires en ajoutant simplement une touche à l’héritage Symbian, un correctif qui n’a pas réussi à offrir l’expérience utilisateur fluide de ses rivaux à l’époque.
Finalement, voyant à quel point sa plate-forme Symbian était devenue obsolète par rapport à Android de Google et à iOS d’Apple, Nokia a lancé en 2011 ce qu’il espérait être son système d’exploitation de nouvelle génération, MeeGo, aux côtés de son smartphone phare N9. Malheureusement, le lancement de ce système d’exploitation bien accueilli est arrivé assez tard. Au moment où Nokia a sorti MeeGo, il était bien trop tard pour rivaliser avec Android et iOS.
Certaines personnes blâment encore Stephen Elop d’avoir fait cette autre erreur stratégique de différer le lancement du téléphone N9, unique smartphone crée par Nokia. On estime qu’Elop a fait une bourde en reportant de 2 ans la sortie du brillant téléphone N9 de Nokia. Le N9 présentait un système d’exploitation de pointe qui était extrêmement convivial, MeeGO, système open source basé sur Linux, que leurs ingénieurs de Nokia en relation avec ceux d’Intel avaient développé au cours des dernières années.
C’était sans nul doute une erreur monumentale de Stephen Elop. Si Nokia N9 avait été lancé sur le marché au bon moment, la situation pour Nokia aurait pu être sérieusement meilleure.
Et en 2013, désespéré de sortir de la crise actuelle et de mieux concurrencer ses adversaires, Nokia annonce un partenariat stratégique avec le géant du logiciel Microsoft pour faire de Windows Phone son principal système d’exploitation mobile.
La fusion Microsoft-Nokia ne s’est pas avérée être une décision fructueuse pour Nokia. Microsoft n’a jamais semblé avoir l’intention de s’associer à Nokia sur un pied d’égalité. Il voulait juste utiliser le Nokia comme une poule aux œufs d’or pour populariser ses propres téléphones Windows.
Il faut tout de même ajouter que beaucoup se sont étonnés du choix porté sur le nouveau système d’exploitation. À une époque où Android était devenu le système d’exploitation le plus important et le plus populaire du marché (avec 80% de part de marché) suivi d’iOS d’Apple (13% de part de marché), la décision d’adopter le système d’exploitation Windows Phone a surpris de nombreux observateurs qui ont vu là un manque d’ambition et une mauvaise compréhension des préférences des consommateurs et de la dynamique du marché.
Les premiers fruits de ce partenariat entre Nokia et Microsoft ont été les smartphones Lumia 800 et Lumia 710. Si le premier visait le haut de gamme du marché, le second visait les clients finaux de revenus inférieurs
Pendant ce temps, Apple venait de dépasser Nokia dans les ventes de smartphones
Malgré des ventes décentes, les nouveaux appareils Windows Phone n’ont pas pu faire grand-chose pour Nokia au premier trimestre 2012, lorsque la société a subi une perte d’exploitation de 1,3 milliard d’euros. Cela a été suivi d’une autre série de suppressions d’emplois, affectant cette fois environ 10.000 employés.
Bien que l’entreprise ait réussi à dépasser les attentes du marché en vendant plus d’un million d’unités de ces appareils en quelques mois seulement, les suppressions d’emplois se sont poursuivies.
En septembre 2013 Nokia annonce la vente de sa division Devices & Services à Microsoft pour un total de 7,2 milliards de dollars. Après tout, Nokia était toujours une marque avec une réputation avérée. Céder l’activité des téléphones a été pour l’entreprise quelque chose d’émotionnellement déchirant.
Une autre dimension du discours est l’école de pensée qui blâme la faible présence de Nokia aux Etats-Unis pour le déclin de l’entreprise. De nombreux analyste évoquent en effet le fait que Nokia a ignoré le marché américain. Selon cette école de pensée, Nokia n’a pas fait assez pour pénétrer et établir une forte présence aux Etats-Unis, qui est l’un des marchés de smartphones les plus importants et les plus lucratifs au monde.
L’incapacité de Nokia à fabriquer des téléphones personnalisés pour le marché américain ne s’est pas fait de nombreux alliés parmi les opérateurs locaux, accélérant encore la baisse de sa part de marché outre-mer.
L’approche « à ma façon ou rien » de Nokia ne convenait pas aux opérateurs. L’entreprise n’a pas fait appel à autant d’ingéniosité et d’énergie aux Etats-Unis qu’elle ne l’a fait en Europe et en Asie, donnant ainsi l’impression que le pays était au mieux une priorité de troisième classe
Ensuite, le passage à Windows Phone a été annoncé bien avant que le matériel ne soit réellement prêt – une décision qui, selon Elop, stimulera l’intérêt des développeurs, mais qui a fini par tuer la plupart des ventes de Symbian, 7 mois avant que Nokia n’ait une alternative à proposer.
Des erreurs de cette ampleur, combinées au grand retard dans le passage à l’écran tactile, ont suffi à coûter la position dominante de l’entreprise sur un marché en évolution rapide.
5.1.4. Il n’y a pas plus sourd...
L’un des plus grands défis pour Nokia était d’améliorer son système d’exploitation Symbian, qui était manifestement inférieur à l’iOS d’Apple ou à Android de Google à l’époque. Mais la refonte du logiciel existant demanderait des années de développement. Mais la direction, pressée qu’elle était, voulait lancer ses nouveaux produits rapidement, ce qui nécessiterait une plus grande planification.
Malheureusement, de l’avis de beaucoup d’observateurs, les employés n’ont pas été autorisés à exprimer des doutes sur la façon dont l’entreprise procédait. Les cadres supérieurs remontaient souvent les bretelles des subordonnés s’ils leur disaient quelque chose qu’ils ne voulaient pas entendre.
Ce qu’ils recherchaient, c’était des marionnettes prêtes à exécuter les instructions, surement pas des gens intelligents capables de penser au bien et au mal de l’entreprise, d’apporter une valeur ajoutée ou encore de remettre en cause les décisions émanant de la hiérarchie. Il y avait donc manifestement un problème de leadership inadapté voire démotivant. Un cadre de Nokia déclarait un jour : « les dirigeants ne soutiennent pas vraiment leurs créateurs. Chez eux tout est passéiste »
Les dirigeants de Nokia ne percevait peut pas suffisamment un phénomène : À mesure qu’une entreprise se développe et prend de l’ampleur, il devient plus difficile pour la haute direction de se tenir au courant des changements et des problèmes qui sont par contre manifestement évidents pour les cadres intermédiaires ou même les travailleurs des premiers niveaux.
De nombreuses entreprises continuent d’ignorer que leur bien le plus précieux c’est les personnes, les femmes et les hommes qui composent leur organisation. Henry Ford, prenant connaissance des bilans de son entreprise ne s’était-il pas exclamé : « Mais je ne vois pas ici la valeur de mes hommes »
Le succès précédent de Nokia était peut-être la raison du dogmatisme du cadre supérieur de Nokia. Ils étaient moins ouverts aux suggestions, notamment de la part des juniors de l’entreprise ou même d’experts extérieurs à l’entreprise.
En conséquence, les employés de Nokia, fortement démotivés ont perdu tout intérêt à participer activement aux discussions. Ils ne se souciaient pas des progrès de l’entreprise. Bref, Nokia a perdu la loyauté et la confiance de ses employés.
Il a parfois été évoqué l’absence de compétences des ingénieurs qui n’auraient pas été de la même qualité que ceux d’Apple. Mais alors que deux chercheurs Quy Huy et Timo Vuori enquêtaient sur la disparition de Nokia, ils ont découvert que ce n’était pas vrai. Les ingénieurs de Nokia étaient parmi les meilleurs au monde et ils étaient bien conscients des risques à venir (la montée en puissance d’Apple et de Google dans les logiciels de téléphonie mobile).
Le sujet de la façon dont les choses ont mal tourné chez Nokia inspire un large éventail de réflexions et réactions de la part des analystes et des observateurs de l’industrie de téléphonie mobile. De nombreux commentateurs s’accordent à dire qu’une mauvaise stratégie et une incapacité à s’adapter au changement sont à l’origine du malheur de l’entreprise.
D’autres observateurs, nombreux eux aussi, ont noté que la complaisance était à l’origine du désastre de Nokia. En tant que leader du marché depuis plus d’une décennie, Nokia semblait se reposer sur ses lauriers et jouer la carte de la sécurité en s’appuyant sur l’approche qui l’a aidé à réussir et à laquelle il tenait mordicus. Un peu comme le skieur qui tombe d’un tire-fesse et qui reste étrangement accroché, pensant qu’il s’agit d’un réflexe salutaire. Gad El Maleh a bien illustré cette situation dans un de ces sketchs.
Mais de l’avis de beaucoup de spécialistes ce qui a beaucoup pesé dans la chute de Nokia c’était d’avoir tourné le dos aux changements des besoins des consommateurs, frisant même le mépris. La réticence de la société finlandaise à adopter des changements drastiques au moment où cela était le plus nécessaire était probablement la principale raison qui a fait tomber le géant de la téléphonie mobile.
Comme le rappellent fort justement Al Ries et Jack Trout à travers leur ouvrage de 1981, Positioning : The Battle for Your Mind, le changement est inévitable, et les dirigeants doivent adopter le changement plutôt que d’y résister.
L’entreprise a mis beaucoup trop de temps à embrasser la révolution des smartphones et quand elle l’a finalement fait, elle a commis beaucoup trop d’erreurs dans sa stratégie. Les nombreux faux pas de l’entreprise suggèrent une intolérance à l’échec de ses dirigeants et dont une aversion profonde pour le risque. Ce qui l’a empêché d’aller de l’avant, d’innover et d’essayer des idées révolutionnaires et disposant de moyens humains et matériels pour le faire.
PAROLES D’EXPERT
Même si une résurrection n’est jamais totalement impossible, Nokia semble cette fois-ci avoir atteint un point de non-retour. En dépit du soutien actif, tant financier que technologique, de Microsoft, la barque du géant finlandais prend l’eau. Dans bien des secteurs industriels aux cycles longs, les erreurs stratégiques d’un jour n’ont pas forcément des conséquences aussi dramatiques.
Dans l’aéronautique, l’automobile, la grande distribution ou l’énergie, les chutes sont en général lentes et les possibilités de rebond plus nombreuses. Dans les nouvelles technologies et les produits de grande consommation, il suffit d’une révolution ou d’une mode pour être balayé.
Nokia a négligé Apple. Il s’est contenté de vouloir continuer d’améliorer son offre alors qu’il fallait la changer. Sony a commis la même erreur. A part IBM, qui a su plus d’une fois sortir d’une activité qu’il sentait condamnée (le PC, les portables), rares sont pourtant les géants de la tech prêts à faire le pari d’un sacrifice pour rebondir.
https://www.lesechos.fr/2012/04/leffrayant-destin-de-nokia-1093291
Cependant reconnaissons-lui quelque chose.
Après tout ce qu’elle a traversé, Nokia est toujours debout dotée d’une impressionnante capacité d’auto-réinvention. Et en dépit de toutes les turbulences que l’entreprise a connues, elle reste un acteur majeur de l’industrie des télécoms. Actuellement, Nokia est en concurrence avec Ericsson et Huawei pour devenir un leader mondial de la 5G. Espérons pour elle qu’elle ne répètera pas les mêmes erreurs qui ont conduit à sa chute il y a près de dix ans.
Comme aurait dit George Santayana : « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter et à commettre les mêmes erreurs ». Peut-être que l’entreprise Nokia devrait-elle s’inspirer aussi de ces propos fort sages de Szczepan Yamenski : « Ne laisse pas tes erreurs du passé faire naître en toi un futur incertain »
Retenons que d’abord que l’entreprise qui n’innove pas est vouée à l’échec. Sur le plan personnel c’est tout aussi valable : Si vous ne parvenez pas à vous mettre à jour, vous serez bientôt perdu.
En second lieu, lorsque nous devenons bons dans une discipline donnée ou réalisons quelque chose en tant qu’individu ou en tant qu’organisation, nous avons tendance à en être fiers. C’est louable, mais souvent, ce sentiment de fierté devient notre principal obstacle pour nous améliorer. On s’abandonne à cette propension qui nous fait s’endormir sous nos lauriers. L’humilité est donc essentielle à notre croissance et notre développement. Tant que nous sommes humbles et ouverts aux suggestions des autres (que nous les appliquions ou non dans la vie), nous faisons de la place pour notre croissance.
HISTOIRES A MÉDITER
ENCOURAGER LES CANARDS SAUVAGES
Thomas J. Watson Jr. (1914-1993), qui a fait d’IBM une puissance mondiale dans le domaine des ordinateurs, aimait raconter l’histoire de cet homme qui se délectait à regarder le vol annuel des canards sauvages.
Chaque année, l’homme laissait de la nourriture près d’un lac voisin afin que les canards s’arrêtent pour manger. Cependant, au fil du temps, cela encourageait certains canards à renoncer à voler vers le sud et à rester pour passer l’hiver au lac.
Avec le temps, ces canards sont devenus gras et paresseux. Pourquoi – devaient-ils se dire – s’embêter à voler alors que, chaque jour, ils avaient à leur disposition de quoi se nourrir ?
Moralité : on peut apprivoiser des canards sauvages, mais on ne pourra jamais rendre sauvages des canards apprivoisés.
Après avoir raconté cette histoire, Tom Watson disait toujours qu’il voulait encourager les « canards sauvages » chez IBM comme antidote au conformisme et à l’autosatisfaction bureaucratique.