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6.3. Prise de décision et rationalité

La prise en compte de la rationalité des acteurs dans les décisions qu’ils prennent est assez critique. En effet, comprendre comment les individus; dirigeants, managers ou simple  exécutants prennent leurs décisions, que ce  soient des orientations stratégiques majeures ou de simples choix de gestion quotidiens, permet là encore de réaliser  ce  qui  sépare  la  rassurante abstraction des organigrammes de la réalité souvent ambiguë des   comportements.  

Le management n’a que faire des schémas théoriques et des tableaux de bord de synthèse. Son champ d’application, sa matière première et sa préoccupation permanente, ce sont  les comportements humains, pas leur représentation stylisée.

Or,  le  français  et  l’anglais  manifestent  des  conceptions  différentes   de   la   rationalité.   En français,  on  «  prend  une décision  »,  comme  s’il s’agissait  de  choisir  une  solution  toute  prête parmi un   éventail de possibles, avec   l’hypothèse  sous-jacente que les réponses préexistent aux  questions,  et  qu’il  suffit  de  faire   correspondre les   premières avec   les   secondes.  En   revanche,  en  anglais,  on  parle  de  «  decision  making  »,  c’est-à-dire   de   la fabrication d’une solution spécifique en vue de résoudre le problème posé (« problem solving »)   ce   dernier   étant par essence antérieur  à  la  réponse  qu’on  lui  donnera. 

Comme  nous  allons  le  voir  cette divergence  de  point  de  vue  n’est  pas  aussi  anodine   qu’il   y   paraît,   car   elle   résume   deux approches fondamentalement opposées sur la notion de rationalité.

Pour un esprit cartésien, la rationalité est non seulement une qualité, mais surtout une obligation, un signe d’intelligence et de civilisation. Pourtant, paradoxalement, la notion même de rationalité est relativement ambiguë.

On distingue en effet la rationalité par rapport  à  des  fins, dite pragmatique, selon laquelle, par exemple, un gouvernement peut décider de « Réduire les impôts pour relancer   l’épargne, la consommation et l’investissement », et la rationalité par rapport à des valeurs, dite dogmatique, selon laquelle il est tout aussi rationnel de « Réduire les impôts parce qu’on est libéral   ».  

« L’homme ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car il n’a qu’une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. Il n’existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne, car il n’existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie elle-même. C’est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même esquisse n’est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l’ébauche de quelque chose, la préparation d’un tableau, tandis que l’esquisse qu’est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau. »

Milan Kundera. « L’Insoutenable légèreté de l’être ». Gallimard

De même,  on distingue la rationalité objective, absolue, universelle, celle des mathématiques, selon  laquelle  «  Les mêmes causes aboutissent toujours aux mêmes effets » et la rationalité subjective, relative à l’individu, contingente, celle de la vie quotidienne, qui fait dire « Dans ces conditions, il me paraît rationnel de…».        

Comme nous allons le voir, le dogmatisme et la subjectivité sont certainement plus réalistes que le pragmatisme et l’objectivité.

Depuis que les psychologues, les sociologues et les spécialistes de management se sont penchés sur la réalité des prises de décision, notamment dans les organisations, la  représentation  positiviste  de  la  raison  éclairant  le  monde  a  été  fortement  mise  à  mal. 

Si le cerveau humain est capable de  concevoir et de résoudre de  temps à autres des équations et  des  problèmes  logiques,  il  suit  le  plus  souvent des chemins bien plus tortueux, ou  bien plus instinctifs, lorsqu’il lui faut prendre des décisions.

PAROLES D’EXPERT

« …Il y a le mythe de la rationalité, selon lequel une action est essentiellement un choix qui entraîne des conséquences. On justifiera une action, on prouvera la rationalité de son choix, on se défendra d’être futile, en disant « parce que » : « Je me suis inscrit dans cette université parce que je pensais qu’elle m’offrait les meilleurs débouchés ». Imaginez qu’un manager occidental justifie une de ses actions en disant « C’est parce que Dieu m’est apparu et m’a guidé » !

Selon le mythe de la rationalité, l’esprit humain pourrait trouver un optimum, choisir entre diverses actions évaluées en comparant leurs résultats futurs à l’aune de certaines préférences affirmées au préalable. Poser en principe la rationalité de nos décisions conduit souvent à une tautologie abstraite qui réduit le rôle de l’identité, de la recherche de sens, de l’ambiguïté ou des contradictions dans la conduite de l’action, et néglige l’importance du passé (past dependency). »

James Gardner March. Professeur émérite à Stanford,  un des pionniers de la théorie des organisations

6.3.1. Du mythe de la rationalité absolue à la réalité de la rationalité limitée

La  rationalité des agents est une des hypothèses fondamentales de l’économie. La capacité des  producteurs et des consommateurs à prendre des décisions d’optimisation de leur satisfaction sous-tend   les  modèles  économiques   depuis  Smith  et  Walras. 

Cette  vision de la rationalité, que l’on cite généralement lorsque l’on doit définir ce que l’on entend par « prise de décision rationnelle », s’articule en cinq points :

  1. Identification d’un problème nécessitant une solution.
  2. Établissement de la liste de toutes les solutions possibles.
  3. Détermination de toutes les conséquences de toutes les solutions envisagées. Afin de sélectionner la solution optimale, il est nécessaire d’avoir une représentation complète de chacune, et notamment de leurs répercussions dans le temps et dans l’espace.
  4. Evaluation comparative des  solutions.  On  utilise  pour  cela  un  système  de  critères  de  choix ordonné, qui s’appuie sur des objectifs clairement définis, stables dans le temps, mutuellement exclusifs, et extérieurs à la situation de  choix.  Les  solutions  doivent  être  évaluées  de  manière  synoptique  :  selon  les  mêmes  critères  et  à  partir  d’un  même  point  de vue.
  5. Choix de la solution la plus avantageuse, dans  un  souci  d’optimisation  des  critères  de  choix.

Herbert  Simon  a  été  le  premier  à  montrer  du  doigt  le  profond  irréalisme  de  ce   processus méthodique, qu’il a  appelé  la  rationalité  absolue.  Il  aurait  pu  tout  aussi  bien  parler  de  rationalité  théorique  ou  de  mythe  de  la  rationalité. 

En  effet,  chacun  peut  constater  dans   sa  vie quotidienne que  cette vision de la rationalité n’a que très peu de rapport avec la réalité de la prise de  décision,  qui  suit le cheminement beaucoup moins policé de ce qu’il est convenu d’appeler la rationalité limitée, ou pour reprendre la terminologie de Simon « bounded rationality », c’est-à-dire littéralement « rationalité bornée ».

Il ne s’agit pas d’affirmer que les individus – et a fortiori les organisations – sont  irrationnels,  mais  que  la  rationalité véritable, celle qu’il est effectivement possible d’atteindre dans les décisions réelles, n’a pas la pureté mathématique de la rationalité absolue, mais plutôt les frottements, les approximations et les arrondis de la physique appliquée.

PAROLES D’EXPERT

« La prise de décision est présentée comme l’action (ou l’art) de faire des choix rationnels à partir de plusieurs possibilités ne présentant pas les mêmes avantages ou inconvénients.

Le modèle de la rationalité, en économie notamment, a longtemps défendu l’idée d’un choix rationnel de l’acteur économique cherchant à maximiser son profit et ses résultats, compte tenu des contraintes.

Ce modèle qui s’est imposé progressivement dans les sciences de gestion, grâce à ses capacités de formalisation et de modélisation mathématique, s’appuie sur un certain nombre de postulats qui sont loin d’être toujours vérifiés.

Le premier postulat est celui de la liberté : pour décider de manière rationnelle, le sujet doit être libre de choisir et conscient de ses propres choix. A-t-on toujours le choix et est-on toujours conscient des ressorts de sa propre décision ou existe-t-il des déterminismes qui nous échappent et conditionnent nos décisions ?

Le second postulat est celui de la disponibilité de l’information : pour choisir vraiment, encore faut-il être au clair sur les informations qui orientent nos choix, leur exhaustivité, leur pertinence et leur validité pour amener à des choix éclairés par une connaissance approfondie du problème et des conséquences de notre choix (acceptabilité ou validité scientifique). Que se passe-t-il donc quand nous sommes plongés dans l’incertitude et le flou quant aux problèmes et aux solutions à trouver ? S’arrête-t-on de décider et d’agir dans ce cas-là et à quoi cherchent à répondre nos actions ?

Le troisième postulat est celui du décideur individuel dans un environnement presque inerte ou indifférent ou qui serait capable à lui tout seul de prendre la « bonne décision » ».

Source : « Processus de décision entre rationalité et rationalisation » https://www.cairn.info/revue-connexions-2014-1.htm

6.3.1.1. La perception sélective

Il n’est pas du tout évident que les membres d’une organisation repèrent les évolutions  de leur environnement qui nécessitent une prise de décision. Bien souvent, par aveuglement ou par la force de l’habitude, on omet de prendre en compte les signaux qui devraient attirer l’attention. La connaissance de la situation nécessitant une décision est toujours fragmentaire, biaisée et incomplète.

Ce phénomène – absolument inévitable – est appelé perception sélective. Dans la vie courante, la perception sélective se manifeste par exemple chez les étudiants qui sont persuadés que leur université ou leur école est souvent citée dans la presse, alors qu’elle ne l’est pas plus que les autres, ou chez les salariés d’une entreprise qui remarquent  plus  que tout le monde la présence de son image ou de ses produits.

De même, dès que l’on prévoit un voyage dans un pays étranger, on est surpris de constater que de nombreuses connaissances y sont déjà allées, et lorsque l’on envisage l’achat d’une voiture, on ne cesse de croiser le même modèle dans la rue.

À l’inverse, les riverains des voies de chemin de fer finissent par ne plus entendre passer les trains. Tous ces exemples montrent que la perception est fortement conditionnée par l’expérience, les préjugés et les préoccupations  de l’observateur : « on voit ce que l’on croit ».

La perception sélective est pourtant extrêmement utile, puisqu’elle permet de faire abstraction d’une quantité considérable d’informations sans intérêt. C’est ce  qui  fait  d’ailleurs une des principales différences entre le cerveau humain et l’ordinateur : le  premier filtre naturellement les stimuli auxquels il est soumis, alors que le second traite systématiquement l’intégralité des informations qu’on lui fournit.

C’est notamment ce qui explique que dans les parties d’échecs qui opposent les joueurs humains à des logiciels, les grands maîtres peuvent réagir en quelques secondes aux coups que la machine a  parfois mis des heures à élaborer : là où l’être humain ne prend en compte que les données qui sont nécessaires à sa stratégie de jeu, l’ordinateur calcule méthodiquement toutes les  combinaisons possibles, y compris celles qui n’ont aucun intérêt.  

Dans   une   certaine   mesure,  on  peut  dire  que  la   perception   sélective,   même   si   elle   empêche   souvent   de   prendre   conscience   des   signes   avant-coureurs d’une crise, est une marque d’intelligence. Il suffit pour cela d’admettre que l’intelligence consiste à gérer le flou et éliminer l’inutile

6.3.1.2. Les biais cognitifs

Une fois que l’on a pris conscience de l’existence d’un problème, on n’étudie jamais toutes  les  solutions  possibles,   mais   seulement   un   nombre   très   limité   d’entre   elles,   celles   qui sont les plus cohérentes a priori. La quasi-totalité des solutions est éliminée spontanément, inconsciemment, et  par  le  phénomène  des  biais  cognitif,  on  cherche  avant  tout  à  reproduire des situations connues, au besoin en déformant la réalité : « pour  un  marteau, tous les problèmes sont des clous ».

Un bon exemple de biais cognitif est fourni par le naufrage du Titanic en avril 1912. Ce navire était le plus gros et le plus puissant de son temps, il suivait un parcours extrêmement fréquenté, il était équipé de tous les équipements de sécurité les plus perfectionnés, et pourtant il a coulé lors de sa traversé inaugurale.

Pour comprendre l’apparente inconscience de  l’équipage,  qui  a  refusé  de  considérer  que  les  multiples messages annonçant des icebergs dérivants devaient obliger le Titanic à modifier sa course ou à réduire sa vitesse, il faut rappeler  que  dans  les  vingt  années  qui  ont  précédé  le  naufrage,  89.000  traversées  avaient  été  effectuées  sur  le  même  parcours.  On  n’avait  enregistré  que  13  collisions  avec    des  icebergs,  qui  n’avaient  jamais  causé  la  moindre  victime.  Le   Titanic  a  été  le  premier  (et le dernier)  paquebot  à  couler  du  fait  d’un  iceberg.  L’équipage – tout  comme  les  passagers ou les navires venus porter secours –  a  donc  été  victime  d’un  biais  cognitif  en  fin  de  compte très largement légitime, celui de se sentir en totale sécurité à bord de ce formidable navire.

Ce biais cognitif a entraîné une perception sélective oui a empêché de réaliser l’étendue du danger avant qu’il ne soit trop tard.

Les biais cognitifs résultent de l’expérience, de l’intuition, des préjugés et de l’analogie    avec des problèmes déjà rencontrés. De plus, il apparaît que lorsque l’on envisage des solutions possibles à un problème, on le fait de manière séquentielle (les solutions sont consi­dérées l’une après l’autre, et non simultanément), et jusqu’à rencontrer une solution satisfaisante (et non la solution optimale).

PAROLES DE FEMMES

« La définition de la folie est de faire la même chose encore et encore, et de s’attendre à un résultat différent. »

Nomi Whalen, thérapeute familiale
et conseillère politique canadienne

6.3.1.3. La non-proportionnalité et la non-linéarité des causes et des effets

Il est totalement irréaliste d’envisager pouvoir imaginer toutes les conséquences de l’application d’une solution, que  ce  soit  dans  le  temps  ou  dans  l’espace.  Cette  incapacité est largement liée à la non-proportionnalité des causes et des  effets. 

On  suppose généralement que les grands bouleversements ont nécessairement de grandes causes,  et  qu’à  l’inverse les événements insignifiants ne peuvent  avoir  que  des  résultats  sans  conséquences. La réalité est tout autre. Partir trois minutes plus tard de chez soi peut empêcher  (ou permettre) de rencontrer l’amour de sa vie ou d’échapper à un accident de la circulation.

Les films Smoking et No Smoking d’Alain Resnais, dans lesquels la vie des personnages est totalement transformée par le simple fait d’allumer une cigarette, sont d’ailleurs construits sur l’impact disproportionné des actes du quotidien.

Qui plus est, la relation linéaire entre causes et effets n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Il n’est pas toujours possible de distinguer les causes et les effets.

Le directeur de la stratégie d’un grand groupe de téléphonie confiait récemment qu’étant donné que le nom de son entreprise est peu connu du grand public, ses produits tels que les téléphones portables doivent être vendus avant tout par le biais de coffrets prêts à l’emploi proposés par les opérateurs de réseaux.

Son raisonnement était le suivant : notre marque est peu populaire, donc elle ne peut pas être utilisée comme argument de vente et il faut diffuser nos produits sans la mettre en avant. Or, il est tout à fait possible de renverser l’argument : c’est en grande partie parce que l’entreprise ne diffuse pas ses produits sous sa marque que celle-ci  est  peu  populaire. 

Comme  on  le  voit,  il  est  difficile  dans ce cas – qui  n’est  qu’un  exemple parmi  une  multitude  –  de  déterminer  ce  qui  est  cause  et  ce qui est conséquence. Tout ce que l’on a, ce sont des événements interdépendants, liés par des anneaux de causalité circulaire

6.3.1.4. L'interdépendance des critères et des solutions

On comprend le problème en même temps qu’on le résout,  et on utilise spontanément  des critères  de  choix  différents  pour  évaluer  chaque  solution.  Ainsi,  la  première  solution  peut être jugée sur le plan financier, la  deuxième  en  terme  de  plaisir,  la  troisième  en  fonction des délais, etc.

En fait, les critères de choix ne  sont  ni  discriminants,  ni  objectifs,  ni  absolus, ni permanents : le système de préférences et la situation de choix  sont  interdépendants. La rationalité consiste  à  choisir  la  première  solution  satisfaisante  qui  se  présente, et non la solution optimale. Pour reprendre la terminologie de Simon, le comportement est séquentiel satisfacteur, et non synoptique maximisateur.

De plus, le phénomène est très largement intuitif, spontané, inconscient,  voire  incontrôlable. On ne peut pas  contrôler  entièrement  ses  pensées. 

Pour  s’en  convaincre,  il  suffit  par exemple d’essayer, à la demande, de ne pas penser à un éléphant, ou  de  ne  pas  se souvenir  de  l’odeur  du  chocolat.  Comme  l’ont  constaté  les  spécialistes  de   l’hypnose,  l’action précède la réflexion, qui  ne  fait  que  la  justifier  a  posteriori,  ce que Weick  a  résumé par « On sait ce que l’on pense d’un sujet lorsqu’on a entendu ce qu’on avait à en dire »,  affirmation qu’il est facile de vérifier à l’occasion de n’importe quel débat animé entre amis.

Des décisions aussi fondamentales que choisir ses études, son emploi ou son conjoint sont généralement plus le résultat d’événements fortuits et d’intuitions spontanées que de  réflexions approfondies. Si réflexion il y a, elle vient par la suite, afin de justifier un choix qui a déjà été fait. Les changements majeurs de l’existence sont plus souvent le fruit du hasard ou de la nécessité que de décisions mûrement réfléchies.

6.3.2. Prise de décision ou « decision making » ?

De tout cela, il ressort que la rationalité, dans son acception courante, c’est-à-dire celle de la rationalité absolue, est une théorie. Comme toutes  les  théories, elle  ne  doit  pas  être jugée sur sa véracité, (car toutes les théories sont fausses), mais sur son utilité (certaines  théories sont utiles, d’autres ne le sont pas).

Dans les  entreprises  comme  ailleurs,  les  décisions réelles ne sont pas prises en situation de rationalité, au sens où on l’entend généralement, mais au mieux en situation de rationalité limitée, et au pire selon le modèle  de  la poubelle, c’est-à-dire essentiellement par inadvertance.

Pour autant, admettre que les comportements humains, et notamment  dans  les  entreprises, sont pour la plupart peu rationnels relève du tabou. Tout le monde se dit, se veut et  se croit rationnel. Beaucoup  d’organisations se dotent de systèmes d’aide à la décision complexes, même si la plupart du temps ils servent essentiellement à légitimer des choix établis à l’avance.

Car c’est bien là le cœur du problème : les décisions, même intuitives, même contraintes par les jeux de pouvoir ou les routines organisationnelles, doivent toujours  être  rationnellement  légitimées  pour  pouvoir  être   acceptées   de   tous.  

L’être humain cherche toujours à établir des relations de cause à effet, y compris entre des événements parfaitement indépendants : c’est  le  fondement  de  toutes  les  superstitions,  horoscopes et autres porte-bonheur que de voir des liens logiques là où il n’y a que du hasard.

La rationalité est donc plus un outil de communication, un étalon de mesure,  une  référence  commune, qu’un véritable mode de prise de décision. C’est un préjugé, mais c’est vraisemblablement le plus partagé de tous.

Au total, est-ce la « prise de  décision  »  du  français  ou  le  «  decision  making  »  de  l’anglais qui caractérise le  mieux  la  rationalité  dans  les  organisations  ?  La  vision  anglo-saxonne est plus proche de  la  rationalité  absolue  et  des  jeux  politiques,  mais  la  position du français est plus cohérente avec l’interprétation organisationnelle et le modèle de la  poubelle.

Tout dépend donc du  point  de  vue,  même  si,  on  l’aura  compris,  la  rationalité  absolue n’est qu’une vision de l’esprit et la rationalité réelle une constatation parfois décourageante.

HISTOIRES A MÉDITER

CES DECISIONS QUI FORGENT LE CARACTERE

Ce qui suit est extrait d’un discours prononcé lors de la cérémonie de remise des diplômes au Citadel Military College de Caroline du Sud en 1993, par le Président Ronald W. Reagan :

« Le caractère qui prend le commandement dans les moments de choix cruciaux est déjà déterminé.

Il a été déterminé par un millier d’autres choix faits plus tôt dans des moments apparemment sans importance.

Il a été déterminé par tous les petits choix des années passées, toutes ces fois où la voix de la conscience était en guerre avec la voix de la tentation, murmurant le mensonge que cela n’a vraiment pas pas d’importance.

Il a été déterminé par toutes les décisions prises au jour le jour quand la vie semblait facile et les crises lointaines.

Ces décisions qui, morceau par morceau, petit à petit, ont développé des habitudes de discipline ou de paresse, d’abnégation ou d’indulgence, des habitudes de devoir, d’honneur et d’intégrité – ou de déshonneur et de honte.

Parce que, quand la vie devient difficile, et que la crise est indéniablement à portée de main – quand nous devons, en un instant, regarder en nous-mêmes pour trouver la force de caractère qui nous permettra de nous en sortir – nous ne trouverons rien à l’intérieur de nous-mêmes que nous n’y ayons déjà mis. »

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