Si une organisation se caractérise essentiellement par une division du travail et un système de coordination alors ces deux concepts méritent quelque approfondissement. La division du travail, initiée par Adam Smith puis développée par Fayol, Taylor et Max Weber a montré son utilité : spécialisation des acteurs, dès lors de plus en plus performants ; capitalisation de l’expérience par des services spécialisés dans leur domaine de compétences, etc.
Quant à la coordination, elle constitue l’indispensable corollaire de la division du travail, permettant à l’organisation de conserver un fonctionnement cohérent malgré sa différenciation en des services aux logiques nécessairement spécialisées et divergentes.
Quels sont les différents critères possibles de division du travail ? Quelles sont les différentes modalités possibles de coordination ?
Dans les faits, les organisations se font et évoluent au gré d’ajustement successifs, souvent pas parfaitement conscients, en fonction des nécessités du moment : on décide de créer tel services, spécialisé dans la vente de tel produit, parce que l’expérience a montré qu’il appelait des techniques de vente spécifiques ou pour récompenser le vendeur qui s’en occupait efficacement ou pour toute autre raison. Si l’on s’amuse parfois à des refontes complètes d’organigramme, en général les organisations évoluent par glissement progressifs.
Il n’est pas inutile néanmoins, de faire comme si on fabriquait une organisation à la façon dont on assemble une maison de Legos. Notre joueur va donc regrouper les Legos, pour constituer autant d’unités spécialisées : quels seront les critères possibles de division de travail ? Et le joueur va ensuite relier les petits groupes de Legos : quelles modalités de coordination sont à sa disposition ?
1. Les différents critères de division du travail
Le premier stade « naturel », en quelque sorte, d’une organisation est celui d’une faible division du travail, simplement embryonnaire : dans bien des PME, tout le monde fait un peu tout ; l’ingénieur fera tantôt du travail de conception et d’études, tantôt de la production, voire, à l’occasion, ira vanter les mérites du produit auprès d’un client. Le commercial de son coté fera, à l’occasion, de la comptabilité, ira démarcher la banque, ou donnera un coup de main sur le plan technique, etc..
Bientôt, cependant, au fur et à mesure que l’activité se développera, les uns et les autres se spécialiseront et constitueront bientôt des services stables, spécialisés par fonctions : service commercial, service d’études, service de méthodes, services administratif et financier, etc.
Mais bien d’autres critères de division du travail, de regroupement des acteurs en services spécialisés existent. Imaginons que notre entreprise décide de se diversifier avec un nouveau produit très différent de ses fonctions actuelles. Peut-être faudra-t-il créer une structure spécifique de type matricielle pour ce produit nouveau. On aura alors affaire à une structure par produits, comme le groupe Danone (branche produits frais, branche biscuits, branche bois sons, etc.).
Imaginons maintenant une entreprise présente sur plusieurs marchés internationaux : on pensera alors peut-être à une structure par zone géographique.
Si l’entreprise doit traiter avec des clientèles radicalement différentes, par exemple une banque qui traite aussi bien avec des particuliers qu’avec des entreprises, on ira sans doute vers une structure par clientèle.
Karl Marx est un révolutionnaire socialiste, philosophe, sociologue, théoricien politique, historien et économiste allemand. Il publie (avec Friedrich Engels) « Le Manifeste communiste », le pamphlet le plus célèbre de l’histoire du mouvement socialiste. La pensée politique et philosophique de Marx a eu une énorme influence sur l’histoire intellectuelle, économique et politique ultérieure. Il est également l’auteur du livre le plus important du mouvement marxiste, Das Kapital (Le capital) en quatre volumes (1867-1883).
« A mesure que la division du travail augmente, le travail se simplifie. La compétence spéciale de l’ouvrier devient sans valeur. Il se transforme en une simple force de production monotone, sans élasticité physique ni mentale. Son travail devient accessible à tous ; donc les concurrents le pressent de toutes parts. »
Bien d’autres critères sont imaginables :
– par spécialités professionnelles, lorsqu’il s’agit d’une organisation à haut degré d’expertise, telle une université, structurée en départements de Philosophie, Lettres, Histoire, Mathématiques, etc. ;
– par projets, lorsque l’activité de l’organisation est centrée sur la réalisation de missions temporaires, comme dans le BTP ;
– par étapes dans le processus de production, par exemple pour une entreprise qui contrôle l’ensemble d’une filière, des approvisionnements de matière première au service après-vente, etc.
Mais nous allons laisser au lecteur quelque matière à sa propre imagination créatrice et nul doute qu’il trouvera à son tour d’autres critères de division du travail.
Cependant, quel que soit le critère envisageable pour regrouper des acteurs en un service spécialisé, sa pertinence reposera sur l’avantage en termes d’efficacité-de qualité de la production – et d’efficience – d’économie des ressources – que ce regroupement permet.
Par exemple : si l’entreprise a plusieurs activités nettement différenciées, il vaut mieux, en termes d’efficacité et d’efficience, que chacun ait ses propres spécialistes techniques et commerciaux plutôt que de vouloir traiter des problèmes trop différents avec des services techniques et commerciaux communs ; une structure par activité sera donc a priori préférable à une structure par fonctions.
2. La nécessité d'une coordination
Une fois « choisis » les critères de la division du travail les plus pertinents, une fois regroupées les pièces de Lego en des sous-ensembles, notre démiurge mythique devra les relier entre eux pour construire cette organisation cohérente dont il rêve.
À quelles modalités de coordination peut-il recourir ?
L’enjeu est important, de sorte que les différentes unités, les différents services œuvrent dans le même sens ou, à tout le moins, dans des directions qui ne soient pas contradictoires. C’est déjà vrai d’une organisation mécanique, d’une machine, par exemple d’un moteur d’automobile, dont les différents organes de fonctionnement (l’alimentation en carburant, l’allumage des bougies, etc.) doivent être coordonnés (par exemple par une régulation électronique). Ça l’est encore davantage d’une organisation humaine, dont les acteurs sont capables d’initiatives, parfois divergentes.
« La façon dont une équipe joue dans son ensemble détermine son succès. Vous avez peut-être le plus grand groupe de stars individuelles au monde, mais s’ils ne jouent pas ensemble, le club ne vaudra pas un centime. »
Babe Ruth
En fait, la nécessité de la coordination relève de trois dimensions distinctes. Il y a tout d’abord une dimension quasiment mécanique : que les différents postes d’une chaîne de production travaillent à des cadences compatibles, de sorte à éviter les ruptures de stocks ou, à l’inverse, l’accumulation de stocks intermédiaires ; que les agences commerciales d’une même société n’aient pas de recoupements inutiles dans leurs zones de chalandises, que dans une université, l’utilisation des salles informatiques ou de laboratoires de langues soit bien planifiée entre les différents départements d’enseignement, etc.
À cette nécessité en quelque sorte mécanique, s’ajoute une nécessité de cohérence de l’action. Dès lors qu’il y a division du travail et, partout, subdivision de l’organisation en des services relativement indépendants, le risque est considérable que chacun, suivant sa propre logique, à partir de sa perception forcément fragmentaire de la réalité, perde de vue les objectifs de l’organisation et les orientations générales qui ont été définies. La coordination vise en quelque sorte à éviter une excessive différenciation de l’organisation.
On peut enfin évoquer une troisième dimension, qui est simplement celle du contrôle des réalisations effectives des acteurs et ce, à tous les niveaux.
Une organisation, dès qu’elle se développe par subdivision du travail, appelle nécessairement la mise en place de modalités de coordination et de contrôle.
3. Les principaux modes de coordination
Kiichiro Toyoda, fondateur de Toyota Motor Corporation, soutenait mordicus la philosophie selon laquelle « les conditions idéales pour fabriquer des choses sont créées lorsque les machines, les installations et les personnes travaillent ensemble pour ajouter de la valeur sans générer de déchets ».
On peut évoquer les principaux modes de coordination / contrôle. Là encore, on n’a pas attendu la théorie pour y recourir.
La première de ces modalités, la plus spontanée sans doute, est l’ajustement mutuel, la coordination informelle, qu’il s’agisse des joueurs d’une équipe de football sur le terrain qui, au-delà des injonctions de leur capitaine, ajustent leur jeu les uns aux autres, de collègues de bureau qui, à l’occasion d’une pause-café, évoquent un problème en suspens, de rencontres dans le couloir, etc.
L’ajustement mutuel constitue un très puissant moyen de coordination qu’une structuration parfois trop formelle ou éclatée des conditions de travail (géographie des bureaux, emplois du temps trop serrés, absence de lieux et de moments de convivialité, etc.) peut conduire à négliger.
La hiérarchie, la supervision directe par un responsable, est une autre modalité de coordination très employée. Elle constitue souvent le fondement de bien des organisations, comme l’armée, et Henri Fayol en faisait, avec la division du travail, le principe de base d’une bonne administration. Qu’il s’agisse du contremaître dans un atelier, d’un directeur d’usine ou d’un préfet, la justification fonctionnelle est la même : coordonner et contrôler les acteurs par une supervision directe.
Une troisième façon de coordonner et de contrôler les différents acteurs d’une organisation est la standardisation des tâches, des règles, des procédures, des méthodes de référence que tout le monde devra appliquer quelle que soit l’usine, quel que soit le service. On est ainsi assuré que l’activité de l’organisation aura une forte homogénéité.
Comme le soulignait Taylor, s’il existe une forte standardisation des tâches, le rôle de la hiérarchie s’en trouve simplifié : si, dans un atelier, on a indiqué à chaque ouvrier un poste de travail bien défini, avec des gestes bien précis à effectuer et un nombre donné de pièces à fabriquer par heure, le contremaître peut, à la limite, se contenter de vérifier si les cadences sont respectées, sans avoir à contrôler constamment le déroulement de la production, sans avoir non plus à rentrer dans une négociation implicite avec les ouvriers sur les cadences possibles ; celles-ci ont été établies a priori après de longues études par le service des méthodes.
Toutefois, l’établissement de méthodes et de procédures standardisées ne convient pas toujours, notamment gérer des activités très différentes et nécessitant une grande autonomie opérationnelle. Dans ce cas, il est préférable de fixer aux responsables de chaque activité des objectifs précis, tout en leur laissant toute liberté opérationnelle.
« Presque toute l’amélioration de la qualité passe par la simplification de la conception, de la fabrication, de l’agencement, des processus et des procédures. »
Tom Peters
Le contrôle par les objectifs, ou standardisation des résultats, constitue donc une autre stratégie de coordination. C’est par exemple fixer à un responsable d’activité des objectifs annuels de chiffre d’affaire, de taux de marge, ou de résultat net, le tout sous contrainte de ressources standards, d’un budget précis. Libre à lui de faire comme il veut, du moment qu’il parvienne à réaliser les objectifs.
Mais il est encore des activités pour lesquelles ni la hiérarchie, ni les procédures standard, ni le contrôle par les objectifs ne sont des modalités de coordination vraiment adaptées. C’est ainsi le cas d’activités d’expertise comme la médecine, la recherche, l’enseignement. On ne va pas soumettre un médecin dans l’exercice de son métier à une supervision tatillonne, ni à des procédures trop contraignantes ou encore à des objectifs standards de pourcentage de guérisons, etc.
On ne peut pas non plus se contenter en la matière d’improvisation ou d’ajustements informels. La meilleure stratégie de coordination et de contrôle consiste alors principalement à s’assurer que les opérationnels ont un niveau et un type de qualification garantissant la maîtrise des compétences requises.
La meilleure modalité de contrôle et de coordination pour que, dans un hôpital, les patients soient bien soignés et de façon à peu près homogène, c’est encore de s’assurer qu’ils ont un doctorat de médecine ou satisfait aux exigences d’un concours rigoureux. La garantie même octroyée par ces standards de qualification permet de laisser aux opérationnels l’autonomie dont ils ont besoin.
Une autre façon de coordonner des services et des activités, c’est de les mettre en concurrence entre eux ou avec le marché : par exemple, de mettre deux agences d’une même banque en rivalité sur une zone donnée, de sorte qu’elles se répartissent par concurrence la clientèle en fonction de leurs points forts spécifiques, à l’une par exemple la clientèle des entreprises, à l’autre plutôt celle des particuliers.
Ça peut aussi mettre un service de l’entreprise en concurrence avec un fournisseur extérieur, voire sous-traiter tout ou partie de la production. Cette mise en concurrence – cet ajustement concurrentiel- oblige les acteurs de l’organisation à faire au moins aussi bien que le marché.
Mais l’un des instruments de coordination les plus efficaces est probablement l’adhésion des acteurs aux mêmes valeurs et représentations, la standardisation des valeurs. Si les gens partagent des valeurs communes, ils se comportent a priori de façon analogue et prévisible sans qu’il soit nécessaire d’un contrôle hiérarchique étroit ou d’établir des règles trop formalisées.
« Les bonnes équipes sont celles qui développent un esprit collaboratif pour paver leur chemin vers la réussite. »
Ted Sunquist, joueur de football américain.
Il est bien sûr autant de formes d’organisations qu’il existe d’organisations. Pour autant, toute organisation, au fur et à mesure de son histoire est amenée, de façon plus ou moins délibérée, en fonction des différents facteurs de contingence qui influent sur son évolution, à privilégier tel ou tel mécanisme de coordination, tel ou tel critère de spécialisation.
Une entreprise centrée sur une activité de R&D sera ainsi amenée à privilégier des modèles très souples de coordination et une spécialisation par projets alors qu’une entreprise de production de masse sera encline à mettre en place des procédures de standardisation de la fabrication et de la gestion et à s’organiser en services spécialisés par fonctions (service chargé des méthodes, service chargé des études, service chargé de la gestion administrative, etc.).
A retenir
- Les activités nécessaires à l’accomplissement d’une tâche (plus ou moins complexe) de l’entreprise, qu’il s’agisse de la production de biens et/ou de services, sont généralement réparties entre plusieurs postes de travail et plusieurs intervenants (personnes). Il s’agit de tâches d’exécution et de prise de décisions.
- En raison de la division du travail, l’individu (à partir d’une certaine importance et taille de l’entreprise) n’est plus en mesure d’avoir une vue d’ensemble de toutes les activités. En outre, la prestation individuelle ne peut généralement être assurée dans de bonnes conditions que si l’on collabore avec d’autres personnes ou si l’on est assisté par elles. Il existe donc des points de contact (interfaces) et des dépendances (interdépendances) entre les domaines d’activité et de décision. C’est pourquoi la coordination devient nécessaire. Les activités des différents membres de l’organisation doivent être cohérentes et harmonisées en vue de l’objectif de l’entreprise.
- La division du travail et la coordination ne constituent donc pas seulement des fonctions ou deux tâches de base de la conception de l’organisation, elles se trouvent également dans un rapport de tension, car les avantages de spécialisation visés par une division du travail croissante sont en même temps contrebalancés par un effort de coordination permanent et croissant. Il ne peut donc s’agir que de trouver un optimum au cas par cas, en fonction de la situation.