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Le degré auquel les membres d’une entreprise s’identifient avec celle-ci, se sentent comme faisant partie d’une famille et se définissent eux-mêmes par leur appartenance à l’entreprise (Je suis chez Apple ou Je travaille chez Axa ou Toyota) est appelé identification organisationnelle.
Dans cet article, nous allons tout d’abord présenter brièvement les conséquences d’une forte identification sur des facteurs de résultats organisationnels importants tels que la satisfaction au travail, la performance, l’innovation ou encore les intentions de démission.
Ensuite, nous décrirons le modèle de transfert de l’identification et, à l’aide de résultats empiriques, nous aborderons et démontrerons le rôle important que jouent les corps de métier dans la construction de l’identification de leurs cadres et employés. Enfin, nous détaillerons des mesures concrètes d’aménagement des identités dans les équipes et les entreprises.
1. introduction : exemple pratique
Imaginez que vous êtes un employé d’une boulangerie dirigée depuis le milieu du XIXe siècle par la famille Lescure, qui en est à sa septième génération. Entre-temps, il existe quatre boulangeries au niveau de la localité où réside la famille, huit autres filiales dans des localités voisines et quelques magasins spécialisés comme une pâtisserie avec café et un magasin écologique avec son propre fournil.
Au total, une bonne centaine d’employés travaillent pour l’entreprise. Ces dernières semaines, des rumeurs ont circulé sur la mauvaise situation financière de l’entreprise.
L’ouverture de plusieurs supermarchés dans la ville avec leurs propres boulangeries rapides a fait chuter le chiffre d’affaires ces dernières années et la construction d’un nouveau fournil avec des fours modernes a représenté un investissement important.
Comme les rumeurs sont désormais également évoquées dans le journal local, le chef de l’entreprise se sent obligé de faire une déclaration à laquelle il a convié l’ensemble du personnel. Il commence son discours par les phrases suivantes :
« Mes chers employés et collaborateurs. Vous avez certainement tous remarqué que ces dernières semaines, il y a eu de nombreuses spéculations selon lesquelles notre entreprise serait au bord de la faillite. Ce n’est pas vrai ! Il est vrai que la concurrence des marchés du secteur industriel nous cause de gros soucis et que nous devons y faire face. Il est également vrai que la construction du nouveau fournil a coûté beaucoup d’argent – un investissement qui sera toutefois rentable à long terme ».
Et maintenant, comparez les deux versions suivantes, avec lesquelles le discours pourrait se poursuivre :
« C’est pourquoi moi, Martin Lescure, que la famille Lescure a nommé directeur il y a presque 10 ans, je promets de m’engager de toutes mes forces pour que personne ne soit licencié en cette période difficile. J’ai déjà connu à de nombreuses reprises de telles périodes délicates dans d’autres entreprises et, en tant que chef d’entreprise, j’ai toujours trouvé des moyens de sortir de la crise. Concrètement, je prévois … »
Ou cette deuxième variante :
« … c’est pourquoi moi, Martin Lescure, qui dirige notre entreprise familiale depuis presque 10 ans en tant que chef d’entreprise et qui en suis maintenant à la septième génération, je vous promets de m’engager de toutes mes forces pour que personne ne soit licencié en cette période délicate. En tant qu’entreprise de tradition, nous avons déjà connu avec vous de telles périodes temporairement difficiles par le passé et nous avons trouvé ensemble des moyens de sortir de la crise. Concrètement, nous devons maintenant … »
Dans les deux suites de discours, le dirigeant dit honnêtement où sont les problèmes, il ne tourne pas autour du pot. Et, dans les deux cas, l’optimisme est également de mise.
Deux choses devraient cependant nous interpeller : Dans la première variante, le discours est tenu par le chef d’entreprise salarié, dans la seconde, le chef d’entreprise est un membre de la famille des fondateurs et des propriétaires. Dans la première variante, le chef d’entreprise utilise plusieurs fois le terme « je » (ou mon, moi. . .) et on cherche en vain un « nous ». Dans la seconde variante, on trouve cette fois-ci plusieurs fois des mots comme « nous » ou « ensemble ». A votre avis, quelle variante est la plus appréciée par les employés ?
Avec quel manager les employés sont-ils susceptibles de s’identifier davantage à la société Lescure ?
Cette théorie du transfert d’identification des managers aux salariés, que nous présenterons dans cet article, prédit clairement que la deuxième variante calme davantage les employés et les motive à continuer à travailler.
De nombreux chercheurs ont également testé ce modèle de manière empirique, notamment dans des études avec des scénarios comme celui qui vient d’être décrit et au moyen d’enquêtes. Nous présenterons ultérieurement les résultats de ces études.
Nous souhaitons d’abord décrire plus en détail le concept d’identification, puis approfondir le modèle de transfert et conclure cet article avec des conseils pratiques pour construire une identité positive dans les organisations.
Il convient de noter que le concept d’identification organisationnelle est étroitement lié à celui d’engagement organisationnel. Ce dernier peut être divisé en trois facettes :
- L’implication affective (je reste attaché à l’organisation parce que je le veux),
- L’implication normative (je reste attaché à l’organisation parce que je pense que je devrais)
- L’implication liée à la continuité (je reste attaché à l’organisation parce que je le dois).
Pour l’implication affective en particulier, de nombreuses études ont montré des liens empiriques très étroits avec l’identification – c’est pourquoi les affirmations de cet article devraient s’appliquer également à l’engagement.
2. Théorie et concept de l'identification organisationnelle
L’identification organisationnelle (IO) est un terme utilisé dans les études de gestion et la psychologie organisationnelle. Il s’agit d’un concept clé en psychologie organisationnelle et fait référence à la propension d’un membre d’une organisation à s’identifier à cette organisation et au degré auquel les employés se définissent en tant que membre de l’organisation et dans quelle mesure ils éprouvent un sentiment d’unité avec elle, ses valeurs, sa marque, ses méthodes.
2.1 L'identification et sa pertinence pour les organisations
Le concept d’identification organisationnelle s’est développé au cours des 25 dernières années à partir de la théorie sociopsychologique de l’identité sociale.
Selon cette théorie, tous les individus tirent une partie de leur valeur personnelle de leur appartenance à différents groupes. Les gens ont un besoin naturel de se joindre à d’autres et évitent l’isolement et la solitude.
L’appartenance à des groupes contribue donc à déterminer les normes et les règles que nous acceptons, ce pour quoi nous nous engageons et faisons des efforts, ainsi que la manière dont nous nous considérons et nous décrivons aux autres. En fait, nous appartenons à tout moment à une multitude de groupes, tels que la famille, le voisinage, un club de sport ou d’autres groupes d’intérêt.
Les entreprises et, au sein de celles-ci, les petites équipes et les départements constituent un groupe important auquel presque tous les individus appartiennent. Ashforth et Mael ont été les premiers scientifiques à déduire théoriquement que l’appartenance à une entreprise est extrêmement importante pour l’autodéfinition des employés et les conséquences que cela a sur leur pensée, leur sentiment et surtout leur comportement.
Par la suite, de nombreuses études ont dépassé les hypothèses théoriques. Certaines de ces hypothèses ont été si fréquemment testées qu’il existe déjà des méta-analyses qui résument empiriquement l’état des connaissances de plusieurs études. Dans une telle méta-analyse des professionnels ont pu montrer, sur la base d’une quarantaine d’études individuelles, que le degré d’identification organisationnelle (nous verrons dans la section suivante comment l’appréhender) est très étroitement corrélé à la satisfaction au travail des employés.
L’implication dans le travail est également étroitement liée à l’identification. En outre, on trouve aussi des liens substantiels avec des taux d’absentéisme plus faibles, les personnes qui ont des intentions de démissionner, les performances au travail et les comportements dits de » rôle supplémentaire « , c’est-à-dire la volonté de s’engager plus que nécessaire et d’aider ses collègues.
D’autres enquêtes ont montré que les employés s’identifient en moyenne un peu plus facilement avec des groupes plus petits (par exemple l’équipe, le service) qu’avec l’entreprise dans son ensemble.
En outre, il a été montré que l’identification avec l’équipe favorise les performances créatives, que les employés identifiés se comportent de manière plus orientée vers le client – en particulier lorsque les cadres dirigeants donnent l’exemple et qu’ils se comportent eux-mêmes de manière orientée vers le client ou bien que les employés plus fortement identifiés se soutiennent mutuellement et sont ainsi moins susceptibles de souffrir du stress ou de tomber malades.
Une forte identification organisationnelle est donc en principe bonne – aussi bien pour les employés, qui sont en meilleure santé et plus satisfaits, que pour les entreprises, car leurs personnels sont plus performants, plus innovants et moins souvent en arrêt de travail.
2.2 Le rôle du cadre : le modèle de transfert d'identités
Quel est le rôle du leadership dans l’identification des employés ?
De nombreux professionnels se sont penchés sur cette question dans différentes occasions et la figure ci-après montre un modèle global
Nous partons du principe que les cadres s’identifient eux-mêmes à l’entreprise ou à leur équipe à des degrés divers.
Certains membres du personnel sont relativement nouveaux dans l’entreprise et ne se sont pas encore familiarisés avec toutes les normes et la culture. D’autres sont des représentants corps et âme de leur entreprise et d’autres encore sont peut-être déjà sur le départ, à la recherche d’autres entreprises vers lesquelles ils pourraient se tourner.
Les différences dans les conditions d’emploi décrites dans l’exemple d’introduction joueront également un rôle – le propriétaire de l’entreprise s’identifiera en général davantage que le salarié, etc.
L’hypothèse centrale est qu’une identification faible ou forte du dirigeant se répercute sur les employés. Les cadres influencent les employés par leur comportement et sont des multiplicateurs essentiels dans les entreprises, notamment en ce qui concerne l’orientation vers les normes et les valeurs de l’organisation.
Les cadres sont également des acteurs clés du recrutement, de la formation, de l’évaluation et du développement des employés. Un cadre identifié de manière forte agira dans le sens de l’organisation et la représentera à ces moments-là, tandis qu’un cadre moins identifié s’orientera plutôt vers ses propres intérêts et normes – ce qui sera perçu différemment par les employés.
Une fois l’identification transmise, une identification plus forte des employés les amènera à s’engager davantage dans l’organisation, par exemple à se comporter de manière plus orientée vers le client. Cela se traduira également par une meilleure identification des clients, une plus grande satisfaction et, en fin de compte, une augmentation du chiffre d’affaires.
Nous allons tout d’abord présenter les résultats de certaines études qui ont examiné ces hypothèses. ont été examinées.
3. La conception active de l'identité et de l'identification
Les études menées un peu partout montrent clairement que l’identification a un effet positif sur les attitudes (comme la satisfaction au travail, la motivation, les intentions de démission etc.) et les comportements (performance, innovation, orientation client).
En particulier, l’identification des forces de travail se répercute sur celle des employés, ce qui a à son tour des effets positifs. Les forces de travail sont donc des multiplicateurs essentiels et leur identification doit être valorisée et développée par le top management.
Nous commençons donc nos recommandations d’action auprès des dirigeants, puis passons au niveau des employés et des équipes et concluons par des mesures au niveau de l’organisation dans son ensemble.
3.1 Mesures visant à accroître l'identification des cadres supérieurs
Une première approche consiste à s’orienter davantage vers des contrats de travail à long terme et à réduire les remplacements à durée déterminée, qui ne sont pas rares, surtout aux niveaux supérieurs de la direction. Les remplacements à durée déterminée réduisent l’attachement des cadres à l’entreprise et donc le transfert d’identité.
Pensez par exemple à la durée de séjour de nombreux PDG, qui n’est souvent que de quelques années.
L’utilisation de participations dans l’entreprise intervient également au niveau de la conception du contrat. Ainsi, les cadres dirigeants (et les employés) de certaines entreprises peuvent acquérir des actions de leur propre entreprise à un prix préférentiel. Afin de garantir que ces participations favorisent durablement la fidélisation à l’entreprise, elles doivent être orientées vers le moyen ou le long terme, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être versées directement sous forme de salaire ou de bonus.
La participation à la prise de décision et la transparence de celle-ci sont également essentielles pour l’identification à l’entreprise. Souvent, les cadres, surtout ceux des niveaux inférieurs et moyens de la hiérarchie, se plaignent de devoir se contenter d’appliquer les décisions prises par ceux d’en haut. Cependant, si les cadres ont la possibilité d’exprimer leur opinion avant la prise de décisions importantes ou s’ils sont informés en détail des raisons de ces décisions, cela augmente leur identification et donc leur volonté de soutenir ces décisions.
3.2 Mesures visant à accroître l'identification des employés et des équipes
Alors que les points mentionnés jusqu’ici s’attachent principalement à l’identification des cadres, il existe également une série de mesures qui renforcent l’identification des employés. Un point important est la communication d’une vision attrayante et la mise en évidence de l’importance des objectifs communs par le top management.
Pensez à la vision regrettée de John F. Kennedy, qui a juré aux Américains d’envoyer un homme sur la lune. Cet objectif a soudé les Américains et mobilisé d’énormes énergies pour atteindre ce but ensemble.
Pour créer une identité forte et commune, les symboles et les rituels sont également très utiles.
Par exemple, l’ancien doyen de l’Aston Business School, une des principales écoles de commerce du Royaume-Uni, organisait au moins tous les six mois de grandes réunions d’entreprise qui commençaient toujours de la même manière – les succès des derniers mois (grands projets réussis, bons résultats dans les classements, etc.) étaient présentés et il n’oubliait jamais de souligner que le concurrent direct n’a pas connu ces succès.
Près de 200 employés participaient à ces réunions. Si l’organisation devient trop grande et que ces réunions en individuel (face à face) sont difficiles ou impossibles, le top management peut faire passer des messages réguliers par le biais d’e-mails et des vidéos sur l’Intranet pour attirer l’attention sur les succès.
Des roadshows, (procédés marketing qui consiste à organiser des tournées promotionnelle permettant de présenter une marque, un nouveau produit ou de rencontrer de nouveaux clients) comme chez Alaska Airlines. Au cours de ces tournées, , au cours desquels le PDG ainsi que le directeur des opérations visitent tous les trimestres tous les sites et communiquent sur place et directement avec les employés, sont également appropriés pour se présenter aux employés comme une entreprise particulière par rapport à la concurrence.
Rien ne soude plus fortement qu’un ennemi commun, Steve Jobs a presque perfectionné cela. Il convient toutefois de faire preuve d’une certaine prudence. En effet, le concurrent d’aujourd’hui peut être le partenaire de fusion de demain, et les sentiments de concurrence échoués par le top management sont des obstacles gênants à l’intégration post-fusion.
Les mesures de développement d’équipe, telles que les formations et les ateliers visant à promouvoir la coopération, renforcent également l’identification des employés.
3.3 Mesures au niveau de l'entreprise
Les cadres et les employés s’identifieront à l’entreprise s’ils savent ce qui la distingue et comment elle se démarque de ses concurrents. Pour favoriser l’identification des cadres et des employés, il est donc essentiel de créer une identité.
Harley-Davidson ou Apple sont de merveilleux exemples d’une identité d’entreprise forte qui fidélise non seulement les clients, mais aussi les dirigeants et les employés. Chaque entreprise peut se forger une identité forte et la développer.
Prenons aussi l’exemple de Heraeus Holding GmbH, une entreprise de métaux précieux et de technologie. Il s’agit d’une des principales sociétés de portefeuille familiales au monde. Les racines de l’entreprise remontent à une pharmacie familiale gérée depuis 1660. Heraeus regroupe aujourd’hui un grand nombre d’entreprises dans les domaines de l’environnement, de l’électronique, de la santé et des applications industrielles.
Ce groupe international de près de 14000 employés avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 20 milliards d’euros, en est un bon exemple. En 2010, une charte d’entreprise a été élaborée dans le cadre d’un processus de longue haleine auquel ont participé tous les principaux groupes d’employés. Elle contient les objectifs, la compréhension de soi et les méthodes de travail ainsi que les règles de comportement et les valeurs.
Cette charte s’applique à tous les employés et à tous les cadres. Elle reflète la culture d’entreprise du groupe de plus de 150 ans et doit être revue et adaptée tous les 10 ans au moins. Le symbole utilisé pour caractériser la charte du groupe est le phare, symbole mondial d’orientation et de navigation – par beau et mauvais temps. La charte du groupe Heraeus comprend les six éléments suivants : vision, mission, principes de gestion, code de conduite, valeurs fondamentales et boussole de l’actionnaire.
Cela signifie que tous les employés, les cadres et les associés connaissent les principes de coopération, les objectifs à long terme et l’auto-confiance du groupe.
L’idéal est d’appliquer toutes ces mesures dans une entreprise : une délimitation claire vers l’extérieur et des modèles vers l’intérieur, la participation (y compris monétaire) des cadres et des employés, des rituels et des succès. Si l’on parvient à développer et à maintenir une identité claire et attrayante, cela conduira à une identification plus forte des collaborateurs.
Les dirigeants à tous les niveaux devraient montrer l’exemple avec leur propre identification forte – Des études dans le domaine de la santé et de l’industrie du tourisme ont clairement montré que l’identification des dirigeants se transmet à l’identification des employés – surtout si le top management est présent et montre son visage.
C’est le cas, par exemple, du PDG de Coca-Cola, Muhtar Kent, qui se rendait régulièrement sur les sites de production et même dans les supermarchés pour montrer aux employés et aux clients combien il était fier de ses produits.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’une identification trop forte et une focalisation exclusive sur le travail comportent également des risques. Des enquêtes ont révélé qu’une identification trop forte est liée à l’addiction au travail et peut aussi rendre malade à long terme. Comme dans la plupart des domaines de la vie, il faut donc faire preuve de discernement.
Conclusion
L’identification est une très bonne chose. Elle satisfait les besoins de l’individu, elle aide les équipes car les membres se soutiennent mutuellement et peuvent ainsi mieux faire face au stress. Et elle aide les entreprises en rendant leurs collaborateurs plus innovants et plus performants.
Les cadres jouent comme toujours un rôle décisif dans le développement de l’identification, mais ils devraient aussi être sensibles aux signes d’alerte lorsque certains collaborateurs développent trop d’identification.
Le thème de l’identification, avec les développements présentées ci-dessus, ne devrait donc être absent dans aucune enquête auprès des employés et une enquête auprès de ces derniers devrait toujours inclure les cadres eux-mêmes, car ils représentent les multiplicateurs décisifs.