Les philosophes de l’Antiquité ont été les pionniers d’un nouveau type de pensée morale, de nouveaux réflexes en matière de réflexion, qui peut encore nous transformer pour devenir de meilleures versions de nous-mêmes. Que peuvent apprendre les dirigeants du monde polarisé d’aujourd’hui de Confucius, Bouddha ou Socrate pour ne citer que ceux-là ?
Entre 900 et 200 avant JC, dans un monde beaucoup moins connecté que le nôtre, il y a eu une avancée majeure dans le développement de l’humanité. Un nouveau type de pensée s’est progressivement développé, fondé sur une préoccupation universelle pour l’humanité, plutôt que sur des intérêts exigus, nationaux. Et ce qui le rend d’autant plus impressionnant, c’est qu’il s’est développé simultanément, dans toute l’Eurasie.
Qu’est-ce qui fait de quelqu’un un grand leader ? Historiquement, les universitaires, chercheurs et autres praticiens ont répondu à cette question en s’appuyant sur la source d’information la plus évidente : le monde des affaires.
Mais un nombre croissant d’universitaires se tournent aujourd’hui vers les sciences humaines pour approfondir et enrichir l’étude du management et des organisations. En analysant le travail, les méthodologies et les outils des historiens, des philosophes et des classiques, les chercheurs et les experts glanent de nouvelles démarches sur les affaires, qui apportent de la valeur et de nouvelles perspectives aux organisations modernes.
Une vision singulière, du réalisme et une capacité d’enseignement : les trois choses que les philosophes grecs anciens, à la tête desquels Socrate peuvent enseigner aux dirigeants d’aujourd’hui
Presque tout le monde connaît Socrate. Beaucoup ont entendu parler de la conversation socratique. Mais très peu de gens savent exactement de quoi il s’agit, quel grand potentiel elle recèle, quels sont les pièges et comment elle a évolué au cours des 2000 dernières années.
1. La méthode ou conversation socratique
Vous trouverez dans la littérature les termes « conversation socratique », « dialogue socratique » et « méthode socratique » comme synonymes. De plus, il existe divers autres termes dans la littérature pour ce type de conversation.
Pendant longtemps, c’était un modèle bien connu de gestion des connaissances, souvent appelé l’art de la pratique sage-femme (maïeutique). Il a fallu plus de 1000 ans pour qu’Emmanuel Kant (1724 à 1804) reprenne la méthode socratique.
En obstétrique la maïeutique concerne la pratique de l’accouchement, assurée essentiellement par les sages-femmes. La maïeutique de Socrate est une métaphore. Fils d’une discrète et sobre sage-femme nommée Phénarète, le philosophe compare la manière dont il discute avec ses interlocuteurs à des accouchements pratiqués par sa mère.
Dans la philosophie socratique, la maïeutique est donc une méthode qui permet, grâce au dialogue, d’accoucher de vérités demeurées cachées chez l’interlocuteur. C’est l’art de conduire l’interlocuteur à découvrir et à formuler les vérités qu’il a en lui.
Mais tout commence par le comportement de Socrate qui, à l’occasion d’une discussion, dialogue ou conversation va faire part de son ignorance (réelle ou simulée) pour s’ouvrir la possibilité de questionner son interlocuteur. Qui ne connaît pas sa fameuse citation : « Je sais que je ne sais rien. »
Est-il nécessaire de préciser que l’inscience (Absence de connaissances) de Socrate était une ignorance digne d’éloge. Ceux qui possèdent une quantité importante de connaissances, une grande culture scientifique ou littéraire et qui s’tonnent tout de même de la quantité de choses qu’ils ne savent toujours pas, forcent le respect et ne peuvent à ce titre, subir le reproche d’ignorance.
Ce qui est passionnant dans cette approche méthodique, c’est le sens et l’attribution du savoir ou du non-savoir. Au début de la conversation, Socrate se présente comme un non-savant qui a besoin de l’aide de ceux qui savent.
Au cours de la conversation, cependant, cette image change complètement. Son interlocuteur commence à emmètre des doutes sur ce qu’il pensait savoir, ce sur quoi il était convaincu. Il reconnaît son erreur ou son ignorance et Socrate le confond avec ses déclarations et ses questions et déclenche des incertitudes et de l’étonnement.
Aujourd’hui, on pourrait qualifier ce résultat obtenu chez l’interviewé comme une dissonance cognitive, une prise de conscience du problème. Socrate veut créer les conditions de départ pour de nouvelles façons de penser chez le répondant.
La méthode socratique de leadership est basée sur les techniques de questionnement utilisées par Socrate il y a 2500 ans pour instruire par la méthode de « questionnement », obligeant ses étudiants à examiner leur base de connaissances voire même leurs croyances.
Socrate essayait de mettre son interlocuteur sur le chemin de la vraie connaissance en admettant lui-même qu’il était ignorant sur la question et qu’il allait poser un certain nombre de questions pour mieux comprendre. Il encourageait son auditoire à ne pas prétendre tout connaître et considérait comme base de toute discussion le fait de reconnaître que tout le monde peut être faillible.
Le jeune Polimus accourut vers le sage Socrate et il cria de loin :
– Écoute, Socrate. J’ai quelque chose à te dire !
– Attends! » l’interrompit Socrate, as-tu passé au crible ce que tu veux me dire à travers les trois tamis ?
– Trois tamis ? demanda Polimus avec étonnement. Qu’est-ce que c’est ? »
– Oui, jeune Polimus ! Vérifions si ce que tu veux me dire passe par les trois tamis :
Le premier est celui de la vérité : As-tu vérifié ce que tu veux me dire. T’es-tu convaincu que c’est vrai ?
– Non, j’ai entendu quelqu’un le dire », a déclaré Polimus.
Le deuxième tamis est celui du bien : Alors, alors ! Mais vous l’avez sûrement testé dans le deuxième tamis. C’est le tamis du bien. Est-ce que ce que vous voulez me dire est bon ? »
– Polimus dit avec hésitation : « Non, au contraire.
Le troisième tamis est celui de la nécessité : « Aha, » interrompit le sage, « utilisons aussi le troisième tamis. Est-il nécessaire que vous me disiez ce que vous souhaitez me dire ?
Polimus rougit et dit avec hésitation : « Eh bien, ce n’est pas nécessaire pour l’instant. »
« Eh bien, » dit Socrate en souriant à son jeune ami, « si ce n’est ni vrai, ni bon, ni nécessaire, alors qu’il soit enterré. Cher Polimus. Nous ne devons nous en charger ni toi, ni moi »